Article de la la CFTC, partagé sur le site confédéral à l'adresse : https://www.cftc.fr/actualites/handicap-a-lecole-piliers-de-leducation-inclusive-les-aesh-restent-precaires-et-invisibilises
Crée en 2014, le métier d’accompagnant des élèves en situation de handicap (AESH) est l’un des piliers de l’école inclusive. Pourtant, les AESH ne bénéficient pas du statut de fonctionnaire et exercent souvent à mi-temps, en CDD. Autant d’anomalies sur lesquelles est revenu mi-décembre la CFTC Enseignement Public et Recherche (EPR), lors d’une formation consacrée aux conditions de travail du métier. Notre organisation milite notamment pour la création d’un véritable statut de la fonction publique pour les AESH, et une meilleure reconnaissance de leur apport pédagogique. Explications avec Carine Fontaine, adhérente de la CFTC EPR à la Réunion, auxiliaire de vie scolaire, puis AESH depuis 2011.
Carine, ça fait 14 ans que vous exercez la profession d’AESH. Comment avez-vous débuté dans le métier ?
Après avoir suivi une formation et obtenu le diplôme de monitrice éducatrice, j’ai postulé et ai été recrutée à un poste en 2011, à la Réunion. J’étais intéressée par le métier d’AESH, car je voulais continuer d’exercer un travail ayant un lien avec le handicap, le social et le scolaire. Depuis, j’ai donc pu vivre les diverses évolutions du métier, qui, à mon sens, reste précaire et souffre d’un manque de visibilité et de reconnaissance.
Parlons justement plus en détail de votre métier. Il est souvent invisibilisé, alors qu’il occupe une place très importante au sein du système éducatif français.
Absolument. Les AESH sont un peu le pilier de l’école inclusive. Numériquement, c’est le deuxième métier le plus représenté de l’éducation nationale : 136 000 personnes – pour une immense majorité des femmes – l’exerçaient en 2024. Notre rôle, c’est d’accompagner dans leur scolarité et leur socialisation les enfants en situation de handicap à l’école, ainsi que de veiller à leur sécurité. Très concrètement, un AESH peut s’occuper d‘élèves atteints de tous types de handicaps, physiques et cognitifs, de la maternelle au lycée. Notre panel de tâches est très large : reformuler des consignes, aider l’enfant à s’inclure dans un groupe d’élèves, prendre ses cours si nécessaires, l’aider dans ses déplacements, etc…
De combien d’élèves un AESH peut-il avoir la charge ?
Quand j’ai débuté, je devais m’occuper d’un seul élève avec un handicap physique, pendant 35 heures par semaine. Ça permettait d’assurer un vrai suivi qualitatif du parcours de l’enfant. Depuis quelques années, un AESH ne peut cependant plus accompagner le même élève pendant plus de 16 heures par semaine. En soi, c’est une bonne mesure car ça nous évite de traiter en permanence un cas lourd et difficile.
Cependant, nous sommes tombés dans l’excès inverse aujourd’hui : on se retrouve à faire 2 heures par semaine avec certains élèves, 4 avec d’autres etc… beaucoup d’AESH doivent parfois suivre jusqu’à 9 enfants par semaine. C’est très pesant pour nous, comme pour les élèves : l’AESH doit s’adapter à chacun d’entre eux, en fonction de son handicap et de son programme éducatif. Pour les enfants, c’est aussi plus difficile de créer de la confiance, du lien avec l’accompagnant, tout particulièrement s’ils sont atteints d’un trouble du spectre autistique (TSA).
La CFTC demande justement à ce que les AESH aient davantage les moyens de co-construire le parcours pédagogique des élèves, avec les professeurs. Pourriez-vous nous en dire plus à ce sujet ?
C’est important, car nous avons le sentiment que notre métier souffre d’un véritable manque de considération. Certains professeurs ne sont pas formés pour vraiment comprendre en quoi consiste notre rôle. Bien souvent, nous n’avons pas directement accès au dossier de l’élève en situation de handicap, et devons faire des pieds et des mains pour savoir où il en est dans son projet de scolarisation. Aujourd’hui, les AESH n’ont par ailleurs qu’une réunion obligatoire par élève avec les enseignants, réunion qui a souvent lieu en début d’année. En conséquence, la CFTC milite pour la mise en place d’un temps d’échange réservé et régulier avec les professeurs.
Aujourd’hui, 80% des AESH occupent des emplois en contrat à durée déterminée (CDD). Comment lutter contre la précarité du métier ?
Grâce à l’action des syndicats, il y a quand même eu des progrès significatifs à ce niveau : depuis 2023, un CDI est ainsi automatiquement proposé aux AESH après 3 ans d’ancienneté, contre 6 ans auparavant. D’autres problématiques subsistent : aujourd’hui, les AESH ne sont toujours pas fonctionnaires, ce qui complique souvent le bon exercice de notre travail. A titre d’illustration, nous ne pouvons pas faire d’heures supplémentaire rémunérées, du fait de notre statut : quand on nous demande d’aller un peu plus loin dans l’accompagnement, nous faisons donc concrètement du bénévolat.
Notre statut nous pose d’autres problèmes. Par exemple, vis à vis du processus de versement de nos indemnités journalières lors d’un arrêt maladie long ou d’un congé maternité, qui diffère de celui des fonctionnaires : dans ce cas-là, les AESH touchent un trop perçu, qui est à posteriori récupéré par le Rectorat via un prélèvement sur salaire. Cependant, entre-temps, ce trop perçu nous expose à être changé de tranche d’impôt sur le revenu. Il peut aussi empêcher l’AESH de toucher certaines aides, comme l’allocation logement ou la prime d’activité. La CFTC milite donc pour la création d’un véritable statut de la fonction publique pour les AESH, mais nous ne sommes pas écoutés pour l’instant.
En 2023, 98% des AESH travaillaient à temps partiel, souvent avec des contrats de 24 heures par semaine…
En premier lieu, je voudrais préciser une chose : à la Réunion, les AESH ont droit à la prime de vie chère, donc ils peuvent s’en sortir en travaillant à temps partiel, même si ce n’est pas évident. En Métropole, ce n’est pas le cas et vous ne pouvez pas vivre décemment de votre seul salaire.
Ensuite, l’éducation nationale propose effectivement souvent aux AESH des contrats de 24 heures, en leur expliquant qu’ils peuvent travailler à côté. Sauf que trouver un autre employeur – compte tenu des horaires des AESH, qui sont en phase avec ceux de l’école – est très difficile. La CFTC réclame ainsi que les contrats proposés aux AESH débutants ne soient plus de 20 ou 24 heures, mais de 30 heures. Puis, qu’il leur soit proposé un CDI de 35 heures, après 3 ans d’exercice du métier.
Quelles sont les perspectives d’évolution de carrière des AESH ?
Actuellement, elles sont trop limitées. Comme les AESH ne sont pas fonctionnaires, il leur faut être diplômé d’un BAC +3 ou avoir travaillé 5 ans dans le privé pour passer les concours internes de l’éducation nationale (par exemple, en vue de devenir CPE, professeur des écoles ou enseignant au collège ou lycée.)
A titre d’exemple, j’ai un bac +2 et exercé ce métier pendant 14 ans. Pourtant, je ne peux pas passer ces concours : c’est absurde et complètement arbitraire. A la base, je suis monitrice éducatrice, un métier assez voisin de celui d’AESH : j’ai choisi d’exercer ce type de travail, j’aimerais donc bien pouvoir évoluer professionnellement dans ce milieu éducatif. A ce titre, la CFTC demande à ce que les années travaillées comme AESH soient reconnues au même titre que celles travaillées dans le privé. Les accompagnants des élèves en situation de handicap pourraient ainsi plus aisément passer les concours internes de l’éducation nationale.
Pour finir, les AESH sont-ils confrontés à des problématiques spécifiques à la Réunion ?
L’ile compte 2700 AESH (en 2023) pour 9000 enfants en situation de handicap. Ce n’est clairement pas suffisant. Par exemple, de nombreux élèves partagent un même AESH, qu’ils soient ou pas dans la même classe. Tous les enfants ne sont donc pas traités à la même enseigne. J’en reviens au manque de considération dont souffre globalement notre profession: il faut que les AESH puissent exercer dans de bonnes conditions leur métier, afin que les élèves en situation de handicap aient tous les outils pédagogiques pour réussir et bien s’intégrer en milieu scolaire.
Tous propos recueillis par AC